Interview de Mohamed Mansouri directeur délégué de l’ARPP

La loi Evin fête cette année son 30ème anniversaire. Pourriez-vous nous dire en quoi elle a révolutionné le monde de la publicité et si elle a contribué à développer la publicité responsable ?

La loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite loi Évin, est une loi pénale, donc d’interprétation stricte. Elle édicte une liste de supports et de références autorisées (origine, dénomination, composition du produit…). 

Elle se distingue de la loi du 30 juillet 1987, dite loi Barzach, qui dressait une liste d’interdits, par exemple ne pas « présenter les boissons comme dotées ou dénuées d’effets physiologiques ou psychologiques, ne comporter aucune incitation dirigée vers les mineurs, ni évoquer d’aucune façon la sexualité, le sport… ». 

Alors qu’avec la loi Barzach, tout ce qui n’était pas interdit était autorisé, aujourd’hui, avec la loi Evin, tout ce qui n’est pas autorisé est donc interdit.

C’est donc une approche très différente, beaucoup plus stricte et c’est en ce sens que le contenu des messages publicitaires en faveur du secteur s’est trouvé davantage contraint. 

Pourtant, les professionnels réunis au sein de l’ARPP ont souhaité s’engager au-delà des dispositions légales, puisque que le Code Alcool de l’ARPP pose des principes généraux qui ne sont pas présents dans la loi Evin. 

Si le Code de l’ARPP reprend les dispositions de la loi Evin et en donne des clés d’interprétation, très utiles pour les opérationnels, ses signataires ont souhaité aller au-delà du cadre légal et s’engager de manière plus forte, en s’interdisant par exemple de communiquer dans des médias de presse écrite, des médias radiophoniques ou sur des services de communication en ligne dont il est raisonnable de penser que l’audience n’est pas composée d’au moins 70% d’adultes de 18 ans et plus, d’associer à la consommation des situations de chance ou d’audace, de suggérer des effets stimulants, de recourir à des dénominations commerciales induisant une confusion sur la nature alcoolisée des produits, de concevoir des emballages reprenant les codes propres à la culture des adolescents, etc.

D’autres engagements sont pris tels que la mise en place de mesures de prévention et d’information contre les risques de l’alcool au volant dans le cadre d’opérations d’animation promotionnelle. 

Ce corpus de règles librement consenties complètent le dispositif légal et témoignent d’une volonté d’autodiscipline très affirmée de la part des professionnels réunis à l’ARPP.

Vous avez contribué au MOOC réalisé par Prévention et Modération et Vin & Société afin de sensibiliser les producteurs de boissons alcoolisées ainsi que les agences de communication au cadre réglementaire de la loi Evin et par ailleurs, des règles de déontologie dites « recommandation alcool ». Pouvez-vous nous en rappeler les objectifs et les résultats ? 

La pédagogie des règles déontologiques, auprès de tous les publics (les marques, leurs agences, les médias, les étudiants… ) est au cœur de l’ADN de l’ARPP. 

C’est donc tout naturellement que l’ARPP a accepté de participer à l’élaboration de ce MOOC, en y détaillant le contenu de sa Recommandation « Alcool ». 

La force de cet outil est qu’il allie théorie et pratique, au moyen de vidéos en motion design, d’interviews d’experts, de quiz et d’autres outils destinés à sensibiliser les professionnels et les aider à s’approprier les règles.

En outre, cette formation de 45 minutes accessible à tous, s’inscrit dans le cadre d’un des engagements du Plan de prévention des filières remis au Président de la République en 2018, à savoir le renforcement de l’autorégulation.

L’ARPP contribue à sa diffusion, notamment dans le cadre des nombreuses séances d’accompagnement à destination de la profession, et les retours que nous avons jusqu’à présent sont positifs.

Comment voyez-vous évoluer le monde de la publicité responsable avec le développement du « tout » digital et quelles sont les grandes tendances en la matière ? 

L’évolution en cours du cadre règlementaire européen tend à rapprocher les régimes de responsabilité de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur « publicité digitale », de la marque au diffuseur, en passant par les intermédiaires (les plateformes de partage vidéo, les réseaux sociaux…). Le respect des règles légales et déontologiques devient ainsi l’affaire de tous et c’est à ce titre que des acteurs, comme les plateformes numériques, rejoignent l’ARPP au même titre que le reste de l’industrie publicitaire.

Au-delà du législateur, les audiences deviennent, elles aussi, de plus en plus exigeantes, en matière de transparence, de loyauté et de responsabilité à l’égard des consommateurs. Le moindre faux pas peut se révéler fatal pour une marque.

Ainsi les marques, afin de susciter l’engagement et l’adhésion tout en demeurant responsables et transparentes, privilégient des formats plus à même de véhiculer leur raison d’être (ou purpose en anglais), leurs actions RSE…

C’est à ce titre qu’émergent sur le digital des opérations dites de Brand Content (contenus de marque), sous diverses formes (vidéos, podcasts, articles rédactionnels…) et qui, concernant le secteur des producteurs de boissons alcoolisées, présentent un double défi : raconter une histoire tout en se limitant objectivement aux indications autorisées par la loi Evin (histoire de la marque, son origine géographique, les associations culinaires…) et en respectant le Code Alcool de l’ARPP.  

Mais les contraintes peuvent devenir de formidables stimulants de créativité !