Interview de Laurent Lutse, président UMIH branche café, bar, brasserie, monde de la nuit

Le secteur CHRD emploie plus d’un million de salariés au sein de 204 000 établissements. A l’issue d’une crise sans précédent due à la pandémie, comment se porte le secteur ?

Tout dépend de quel métier on parle. La restauration a supporté la crise grâce au fonds de solidarité et au chômage partiel mais aussi grâce à la vente à emporter qui a été une activité de substitution pour la restauration traditionnelle. On a assez de recul sur la saison estivale, notre reprise, pour dire qu’elle a été bonne sur les lieux touristiques pour les restaurants, les hôtels ou les bars. Pour les discothèques, celles qui ont rouvert ont été plébiscitées par la clientèle. Mais seulement une sur quatre avait décidé d’ouvrir parce que les autres ne se remettent pas de 16 mois de fermeture forcée avec des charges fixes impayées. Ce métier en particulier est dans une situation très grave, tout comme les traiteurs qui fonctionnent toujours au ralenti.
Ce qui est inquiétant, aussi, c’est la situation de l’hôtellerie dans les grandes métropoles, dont Paris. Non seulement, elle n’a pas bénéficié des mêmes aides que la restauration puisqu’elle n’a pas été fermée administrativement, mais elle reste sinistrée par la morosité du tourisme d’affaires et des voyages internationaux.
Voilà un état général du secteur, au moins au regard de la demande.

Comment voyez-vous l’évolution du secteur ?

Comme je vous le dis, la demande est là. Mais l’avenir est compromis par le manque de personnel qui met les entreprises en sous-production. Avec la crise sanitaire, 130 000 salariés du secteur sont partis. Notre évolution dépend donc de notre capacité à pourvoir ces postes assez vite. 
Le second enjeu, c’est de désendetter les entreprises qui ont dû souscrire des prêts garantis par l’Etat (PGE) qu’elles vont devoir rembourser en quatre ans. Elles ont été obligées de le faire mais toute une partie du secteur est incapable de créer assez de valeur pour honorer leurs dettes en si peu de temps. C’est tout particulièrement vrai pour les hôtels des grandes villes ; 30 % d’entre eux sont fermés dans certaines grandes villes. Comment voulez-vous qu’ils remboursent les banques ? On se dirige donc vers des dépôts de bilan et des rachats. 
Pour les prochains mois, l’Etat nous parle de relance. Je m’en réjouis. Mais sans personnel et étranglés par les charges financières, ce n’est pas possible. A court terme, il faut trouver une solution pour étaler l’amortissement des PGE. 

L’UMIH a toujours été un acteur engagé en matière de responsabilité sociétale et un ambassadeur de la consommation responsable et encadrée. Pourriez-vous partager avec nous quelques exemples d’actions (bonnes pratiques) qui ont été mises en place, comme le conducteur désigné, et qui ont contribué à la consommation responsable des boissons alcoolisées ?

D’abord, je rappelle toujours que nos établissements représentent seulement 12 % de la consommation de boissons alcoolisées. 
L’UMIH, notamment, est à l’origine du permis d’exploitation qui existe depuis 2008 et qui est une formation obligatoire que doit suivre tout exploitant d’un établissement vendant de l’alcool. C’est très important parce qu’à cette occasion, bien sûr, on souligne les dangers de l’alcoolisation. Mais surtout, le futur exploitant est informé très clairement de sa responsabilité pénale (qui peut aller jusqu’à la prison ferme), civile et administrative (la fermeture) s’il délivre de l’alcool à une personne en état d’ébriété. C’est ce qui fait qu’on peut vraiment dire que la consommation d’alcool est encadrée dans nos établissements tandis qu’on voit encore, malheureusement, que des gens s’alcoolisent sur la voie publique. 
Nous avons aussi milité pour que l’éthylotest soit obligatoire dans les voitures. Et nous sommes aussi partenaires d’un grand nombre d’opérations qui visent à une consommation responsable, comme Sam (celui qui conduit, c’est celui qui ne boit pas)

Depuis 2020 et malgré la pandémie, l’UMIH s’est engagée dans la lutte contre les troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF) aux côtés de SAF France et de Prévention et Modération. Pour la deuxième année consécutive, vous avez notamment organisé un Tour de France dans 12 régions, véritable campagne de sensibilisation des décideurs publics, politiques et sanitaires avec le concours de vos restaurateurs et de vos présidents départementaux. Pouvez-vous nous en présenter les grandes lignes et les résultats ?

D’abord, je veux vous dire que j’ai beaucoup appris sur les méfaits de l’alcoolisation fœtale grâce à cette action. C’est effrayant, ne serait-ce que les séquelles graves et irréversibles que cela peut causer sur le développement cognitif et psychique de l’enfant et de l’adulte en devenir. L’UMIH va poursuivre cette grande croisade auprès des établissements et des consommateurs tandis que SAF France fait un travail d’information auprès des jeunes et des médecins généralistes. Nous faisons de la sensibilisation et ça doit naturellement interpeller tout futur parent.