Interview d’Hubert Sacy, DG d’Educ’Alcool

Le Québec a réussi à faire de la modération un élément intégré par toute la population. Pourriez-vous, pour commencer, nous présenter les huit déterminants du comportement et qui ont constitué, si j’ai bien compris, un socle fondateur?

En fait, nous les avons rationnalisés dans la « grille des déterminants des comportements » a posteriori, après avoir y avoir eu recours dans la pratique. Ainsi, nous pouvons agir sur la connaissance, l’attribution, les attitudes, le renforcement positif, la peur, le plaisir et, indirectement, sur les changements aux contextes et aux environnements. Sur ce dernier sujet, nous ne pouvons que revendiquer auprès de l’État des modifications qui font la différence. Quant à la résolution des problèmes à leur source, nous devons constater que nous atteignons ici la limite de notre capacité d’intervention.

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La promotion des niveaux/repères de consommation à moindre risque et du verre standard ont constitué un message central des campagnes d’Educ’alcool qui ont permis de sacraliser la modération dans une relation maîtrisée risque/plaisir. Pouvez-vous expliquer comment vous y êtes parvenu et quelle place a pris par ailleurs les offres alternatives sans alcool ? 

Durant près de 20 ans, nous avons travaillé à implanter l’idée même de la modération associée étroitement à la consommation d’alcool. Notre vecteur central était notre slogan « la modération a bien meilleur goût » qui a acquis une telle notoriété qu’il est devenu un véritable proverbe au Québec. Lorsqu’est venu le moment de quantifier cette idée, nous avons participé à une merveilleuse initiative qui a regroupé tous les acteurs du domaine et toutes les parties prenantes intéressées : santé publique, ONG, producteurs d’alcool, médecins, scientifiques, corps policiers, sociétés des alcools et régies. Ensemble, nous avons convenu de créer un comité scientifique qui a élaboré les niveaux de consommation d’alcool à faible risque toutes causes de mortalité confondues. Ce dernier aspect est absolument fondamental si l’on veut être rigoureux ; car si on fait un choix arbitraire au départ (par exemple, en se limitant à l’aspect cancer ou à l’aspect cardiovasculaire), on fausse les résultats. C’est donc un consensus national qui a été établi sur des bases rigoureuses et non sur des bases moralisatrices ou idéologiques comme on le voit malheureusement trop souvent.

Au mois de février s’est tenu au Québec, le Défi 28 jours sans alcool qui permet certaines exceptions aux participants, qui peuvent choisir de ne pas boire d’alcool du lundi au jeudi ou de s’abstenir du vendredi au dimanche. Quels sont à votre avis les bienfaits d’un tel programme et les travers ou dangers possibles ?

Soyons clairs : il est parfaitement légitime de ne pas boire une journée, une semaine, un mois, une année et même une vie entière. Et si des gens tirent des bénéfices en s’abstenant de consommer durant un mois, c’est très bien pour eux. Là où j’ai des objections c’est quand on appelle ça un « défi ». Un défi, c’est quelque chose de difficile. Escalader l’Everest, ça c’est un défi. Cesser de fumer l’est aussi car le tabac crée des dépendances chez tous les fumeurs. Dire que cesser de boire un mois est un « défi », c’est laisser entendre que tous les buveurs d’alcool sont dépendants. C’est non seulement fallacieux mais aussi terriblement biaisé. Personnellement, il m’est arrivé de ne pas boire durant six mois pour perdre du poids et je n’ai éprouvé aucune difficulté; je ne me sens pas du tout comme un héros qui a accompli un exploit extraordinaire. Et puis, soyons clairs : si on respecte les limites de consommation recommandées à l’année longue, on n’a absolument pas besoin de se livrer à cet exercice d’abstinence annuel « pour se reposer ». Il est de très loin préférable de s’abstenir de boire de l’alcool une ou deux journées par semaine qu’un mois par année.